Le fleuve et la mer chez Claudel

Mardi 27 Octobre 2020-00:00:00
' Ayman Elghandour

Pour Claudel, le fleuve et la mer sont un réservoir inépuisable d’inspiration. Il les tient pour une réalité fondamentale et les traite généralement dans son œuvre surtout dans Connaissance de l’Est à travers 14 poèmes : Pensée en mer, La mer supérieure, Tempête, La dérivation, Le fleuve, Rêves, Tristesse de l’eau, La navigation nocturne, La terre vue  de la mer, La maison suspendue, La source, La marée de midi, Le risque de la mer et Le jour de la fête de tous les fleuves. Claude Pierre Perez nous dit que « ce livre est cerné par la mer et partout habité par l’eau ». Nous y trouvons des termes maritimes : sampan, voiliers, cargos, nacelle, bateau, mer, abîme, vague…etc. 

En fait le poète  catholique considère la mer comme un domaine de description et de contemplation. Immense et infinie, elle n’engendre aucune impression de monotonie. D’une part, ses eaux se présentent comme une menace dans « Tempête » où Claudel cherche vainement le soleil, mais il ne voit que « l’espace noir et mort de la mer »hostile et dangereuse, ainsi que dans « Le risque de la mer » où l’auteur se trouve au sein de l’abîme prêt à l’engloutir, annonçant qu’il est « perdu dans l’intérieur de la mort et que [son] cœur est serré par le chagrin de la dernière heure ». D’autre part, nous voyons dans « Rêves » les pêcheurs aller à la mer pour y chercher ce qui subvient à leur vie. 

Comme Claudel aime tous les éléments de la nature, surtout l’eau, il ne se contente pas de traiter la mer, mais il aborde le fleuve à maintes reprises dans sa Connaissance de l’Est. Michel Malicet affirme que les fleuves captivent Claudel qui « les compare au réseau des artères nourricières. Leur eau lui apparaît comme du sang ou du lait ».Le fleuve a joué un rôle remarquable dans la Chine du XIXe siècle qui n’avait ni voies ferrées, ni vraies routes, il a servi au déplacement, grâce à ses canaux qui relient Changhaï au Kiang Sou. Nous y voyons ce qu’on appelle des house-boats, de petits bateaux aménagés. Pour cela, les Chinois y consacrent un jour, c’est le jour de la fête de tous les fleuves qui « raconte la fête rituelle donnée au fleuve Min Jaune ». Gilbert Gadoffre indique que cette fête folklorique est inspirée par « la fête des bateaux-dragons, le cinquième jour du cinquième mois »où se trouvent les jeux des dragons célestes symbolisant la pluie. Cette fête se remarque de même par les courses de jonques dont les vainqueurs sont récompensés par les riches marchands. De sa part, Claudel s’attarde à nous présenter cette scène d’une manière détaillée : « Tout grouille, tout tremble d’une rive à l’autre de sampans et de bateaux, où les convives de soie pareils à de clairs bouquets boivent et jouent: tout est lumière et tambour. Deçà, delà, de toutes parts, jaillissent et filent les pirogues à têtes de dragons, aux bras de cent pagayeurs nus ».  

Ainsi l’auteur de Tête d’or réussit à décrire la fête pittoresque qui est une occasion de réjouissance pour les villes chinoises avoisinant les rivières ou les ports de mer. Cependant il paraît comme un touriste passif en présentant l’image du fleuve; il se contente d’observer de loin les quais et les bateaux sans donner ses propres impressions. Il ne tente pas de participer à l’action. Même lorsqu’il nage dans le fleuve, il ne ressent aucun exotisme et écrit un texte dont la caractéristique essentielle est le ton littéraire et poétique. Il dit: « Ni la soie que la main ou le pied nu pétrit, ni la profonde laine d’un tapis de sacre ne sont comparables à la résistance  de cette épaisseur liquide ».